Karambolage 454, diffusé le 6 janvier 2018, auteure : Nikola Obermann, réalisateur : Pierre-Emmanuel Lyet © ARTE France 2017
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La fée verte
http://www.ina.fr/video/CAC00016328
Feu l'absinthe à Pontarlier
http://www.ina.fr/video/LXF04033351
L'absinthe en Haut Doubs et en Suisse
http://www.ina.fr/video/LXF04033351
L'absinthe : sorcière
ou fée verte ?
https://www.youtube.com/watch?v=S7uvXuWU25I
L’ABSINTHE : LES IDÉES REÇUES
Ça rend
fou ?
NON : Avant l'interdiction de l'absinthe en 1915, la consommation moyenne était de 12 verres d'absinthe par jour.
L’alcoolisme est responsable des maux imputés à l’absinthe.
Aucun composant causant la folie n’a été découvert dans l’absinthe.
C'est
interdit ?
NON : L'absinthe est produite et autorisée en France : en partie grâce à Michel Rocard, qui a signé l'accord permettant l'ajout de thuyone (la molécule présente dans l'Absinthe), dans
les boissons et l'alimentation. L'absinthe est autorisée librement sur le marché français depuis 2011.
On a retiré la
molécule ?
NON : les vraies absinthes distillées et colorées avec des plantes sont produites comme aux XIXème siècle à l’aide de recettes historiques. La thuyone, huile essentielle de plante d’absinthe, a toujours été présente en petite quantité, hier comme aujourd’hui.
C'est
une boisson d'artiste ?
NON :
L'Absinthe est
un peu restée dans l'Histoire comme étant la boisson romantique du poète ou de l'artiste torturé : Verlaine, Van Gogh, Toulouse-Lautrec, Gauguin, Rimbaud, etc. Certes. Mais cette boisson
extrêmement populaire était aussi consommée par le premier venu, souvent excessivement, et responsable d'un bon nombre de cas d'alcoolisme.
Il faut faire flamber le sucre ?
NON : L'absinthe a toujours été préparée sans artifice pyrotechnique. Flamber le sucre est apparu dans les années 2000 en République Tchèque pour attirer le client dans les bars. Et
aussi dans "Moulin Rouge". Non, la vraie préparation est bien plus sobre : il faut faire couler de l'eau glacée goutte à goutte sur le sucre. Le ratio absinthe/eau est de 1 pour 5. Et maintenant
on savoure !
La thuyone, la molécule qui rend fou c'est quoi?
La thuyone, c’est ce qui fit la célébrité de l'absinthe, mais provoqua aussi sa chute. On la disait hallucinogène dans les milieux artistiques,
toxiques dans les milieux abstinents. Souvent comparée au THC (une étude menée en 1999 par Meshler et Howlett dans « Pharmacology Biochemestery and Behavior » a démonté cette théorie remontant à
1975), l’absinthe a de tout temps vogué entre l’alcool et la drogue dans les croyances populaires. La faute à cette troublante thuyone qui dit-on, rendrait fou, aveugle, qui tordrait le corps,
mais qui soignerait aussi les dysenteries et même, la malaria...
Mais la thuyone, c’est quoi ?
Cette molécule, principe actif de la plante d'absinthe – que l’on retrouve aussi dans la sauge ou dans le thuya – compose à elle seule plus de la moitié de l’essence d’absinthe. A très hautes doses, l’une des deux formes isométriques de l’absinthe, l’Alpha, interagit avec le cerveau et y trouve des récepteurs qui peuvent provoquer de puissantes convulsions et d’importants problèmes rénaux. Et au XIXe siècle, quand on parlait de « très hautes doses », il semble qu’on ne badinait pas… à moins que ce ne soit de la pure désinformation ?
Aujourd’hui, la thuyone est limitée par une récente directive européenne à 35mg par litre d’absinthe. En 1907 en France, elle était limitée à 1000mg/l ! Au XIXe siècle, des études alarmistes, souvent pilotées par les adversaires de l’absinthe, ont analysé les productions de l’époque et conclu à des taux de thuyone avoisinant les 250mg/l. Ces études, ou plutôt « estimations de calcul » puisqu'aucun appareil scientifique ne permettait à l’époque de mesurer le taux de thuyone avec précision, auraient surtout permis d’influencer l’opinion publique, car la réalité est toute différente.
En 2002, Ian Hutton analyse le premier une absinthe « Pernod Fils » conservée depuis la prohibition. Il conclut à un dosage de 6mg de thuyone par litre d’absinthe... on est bien loin des études alarmistes du début du XXe siècle ! A 250 ou 300mg de thuyone par litre, l’absinthe serait tout simplement imbuvable, la thyone forte et mentholée écrasant tous les autres goûts. D’autres études plus récentes appuient les conclusions de Hutton.
Force est aujourd’hui de constater que la problématique de la thuyone fut un élément prioritaire de la lutte des milieux abstinents contre l’absinthe, qui – volontairement ou pas – ont apeuré la population en stigmatisant l’absinthe et sa « molécule folle ». Ils ont aussi donné naissance à tous les fantasmes qui, malgré l’interdiction, ont assuré la survie clandestine de la "fée verte".
L'absinthe est une plante utilisée principalement pour lutter contre les maux d'estomac. En infusion, elle aide aussi à traiter la fatigue ou certains troubles comme le mal de mer. Tonique
et apéritive, l'absinthe est aussi un vermifuge. Les propriétés médicinales de cette plante des Alpes sont multiples et connues depuis l'Antiquité.
Nom scientifique : Artemisia absinthium
Noms communs : absinthe, grande absinthe, aluyne, armoise, herbe sainte, herbe aux vers, absinthe suisse, armoise amère
Nom anglais : absinthe wormwood
Classification botanique : famille des astéracées (Asteraceae )
Formes et préparations : infusions, décoctions, teinture mère
Tonifiante : prise en infusion, l'absinthe est utilisée pour lutter contre la fatigue ou dans le cadre d'une convalescence. Antinauséeuse : elle apaise les nausées ainsi que le mal de mer (ou
le mal des transports). Antiparasitaire : cette plante peut être absorbée en cas de vers intestinaux (ascaris ou oxyures). Stomachique : elle diminue les troubles digestifs, les
ballonnements et les flatulences.
Antiseptique : en décoction, l'absinthe sera appliquée avec une compresse sur une plaie ou une piqûre d'insecte. Elle s'utilise également en cataplasmes chauds.
Parasites comme les vers intestinaux ou le ténia ; problèmes digestifs non fonctionnels ; nausées et vomissements ; mal des transports ; fatigue ou convalescence.
Apéritive, l'absinthe est un stimulant de l'appétit. Elle peut être utile pour traiter une fièvre, une grippe ou toute autre affection virale. En collyre, elle fortifie les yeux.
Une plante médicinale
Depuis l'antiquité jusqu'à son avènement au XIXème siècle, l'Artemisia Absinthium (qui tire son nom d'Artemis, fille de Zeus et
déesse grecque de la lune) entre dans la composition de nombreux remèdes : décoctions, teintures, eaux distillées, cataplasmes, etc. On l'emploie pour soigner les maux d'estomac, les fièvres, la
malaria, la dysenterie, les douleurs menstruelles...
Egalement vermifuge (en anglais, la plante s'appelle Wormwood), et antiseptique, ses applications sont nombreuses jusqu'à ce qu'une rebouteuse rencontre un courtier en dentelles...
La rebouteuse et le courtier
Son usage médicamenteux aurait pu continuer longtemps si un beau jour, une rencontre étrange ne s'était pas faite en Suisse à la fin du XVIII ème siècle. En effet, c'est à Couvet qu'un certain major Dubied, courtier en dentelles, rencontre une vieille rebouteuse, la mère Henriod. Il lui rachète la formule d'un élixir de santé, vraisemblablement de sa composition, qu'elle vend habituellement aux colporteurs ! Fort de son achat, le major Dubied qui a dû remarquer que le médicament n'était pas toujours consommé uniquement pour se soigner, met à profit le remède pour en faire une boisson !
Il s'associe avec son beau-fils Henri-Louis Pernod, fils d'un bouilleur de cru local (et mari de sa fille) et ouvre une distillerie
: la maison Dubied Père & Fils en 1798 (elle sera plus tard reprise par Fritz Duval lorsque Pernod déménage à Pontarlier quelques années plus tard).
La boisson rencontrant un certain succès, Henri-Louis Pernod prend ses distances avec son beau-père et monte rapidement sa propre distillerie dans une maison minuscule. Quelque temps plus tard,
il en ouvre une nouvelle à Pontarlier : la maison Pernod Fils (1805) qui devient la toute première distillerie française. Il laissera à tout jamais son nom associé à celui de l'absinthe.
La boisson du soldat
Pendant une trentaine d'années, l'absinthe reste une boisson régionale jusqu'à la conquête de l'Algérie. Réputée efficace contre la malaria et la dysenterie, l'absinthe embarque avec les colons pour les suivre dans plusieurs campagnes. C'est aux officiers que l'on doit l'émancipation de l'absinthe puisqu'à leur retour, forts de leurs succès, ils la font découvrir à la bonne société qui ne tarde pas à s'enticher d'elle. C'est à ce moment-là une boisson plutôt onéreuse, réservée à la bourgeoisie qui vient la consommer sur les cafés des grands boulevards.
L'heure verte
Entre cinq et sept heures, l'air des grands boulevards s'emplit d'absinthe : l'Heure Verte comme on l'appelle, sonne dans la ville
! La boisson s'installe aussi partout en France pour plus d'un demi-siècle, avec son rituel de la cuiller et ses senteurs caractéristiques. Peu à peu, elle se démocratise tellement que tous les
milieux sociaux tombent sous son charme et l'absinthe devient un art de vivre. Qu'on la consomme dans les cafés ou chez soi avec des services luxueux, c'est toujours un apéritif au cérémonial
unique en son genre.
A partir de 1870, l'engouement est général : la publicité est énorme (affiches, cartes, objets), les artistes en font leur muse, les journaux en parlent et les distilleries se multiplient. Leur
nombre double par exemple à Pontarlier (passant de dix à vingt), se chiffre à soixante-dix environ en région parisienne, à une cinquantaine à Bordeaux et presque autant à Marseille ! La
consommation d'absinthe par habitant ne cesse de croître au point qu'à la fin du siècle, elle avoisine les deux litres d'absinthe par habitant et par an !
On comprend mieux pourquoi l'absinthe est dite "boisson nationale" en 1880 : elle fait travailler des milliers de personnes et c'est une entreprise florissante qui s'exporte même à
l'étranger.
Le revers de la médaille est la profusion d'absinthes de mauvaise qualité très peu chères que l'on surnomme alors les "sulfates de zinc" et qui se montrent ravageurs.
La disgrâce
La demande et la consommation d'absinthe ne cessant de croître (au détriment des viticulteurs) notamment dans les milieux
artistiques, elle devient peu à peu le symbole de l'alcoolisme et s'attire les foudres des ligues de moralité qui voient en elle le vecteur de la criminalité, de la tuberculose, de la violence
conjugale, de l'aliénation et de la baisse de la natalité !
En 1901, la création de la Ligue Nationale Contre l'Alcoolisme cherche à sensibiliser l'opinion et multiplie les affiches, tracts, campagnes, pétitions, etc ; la croisade contre l'absinthe a
commencé et se poursuivra pendant 14 ans.
La Ligue trouve en 1907 un allié inattendu : des viticulteurs qui souffrent économiquement de l'engouement pour l'absinthe. Ils organisent même une manifestion au mot de : "Tous pour le vin,
contre l'absinthe" ! Un comble !
La prohibition
En Suisse où la mobilisation contre l'absinthe est moins importante qu'en France, un fait divers (un père de famille alcoolique
notoire massacre sa famille après avoir fait la tournée des bars) achève de convaincre les législateurs de la dangerosité de l'absinthe, l'interdiction est votée en 1910.
L'absinthe aura été victime de son succès: décriée par les ligues de moralité et dévaluée par les distilleries sans scrupules et leurs "sulfates de zinc".
En France, un décret demande aux préfets d'interdire la vente d'absinthe dans les établissements publics en 1914, réservant la boisson à une consommation chez soi. Mais la fraude restant
possible, le gouvernement interdit finalement un an plus tard la fabrication et la circulation d'absinthe. Raoul Ponchon, le poète absintheur, dira à ce sujet avec humour : "l'interdiction de
l'absinthe a causé plus de malheurs que l'instruction primaire".
Les succédanés
L'interdiction est un coup dur pour les distilleries, notamment pour Pernod Fils qui ne produisait que de l'absinthe ! Elles
tentent cependant de faire perdurer le mythe en proposant des apéritifs anisés sans sucre rappelant des souvenirs où l'on tente de recycler l'imagerie de la fée verte et le rituel de la cuillère
: Amourette, Pernis, Petite Verte, Suprême Verte, Pontarlier-Anis, Féli 45 etc... Mais le mythe est éteint et en dépit de noms sans équivoque, le public se détourne de ces anisés qui n'ont pas le
charme de l'absinthe et qui sont perçus comme de maigres consolations.
Le pastis de Paul Ricard, en 1932, rencontre le succès et la prospérité.
Aujourd'hui
En Suisse dans le Val de Travers, berceau de l'absinthe, la fabrication n'a jamais vraiment cessé malgré l'interdiction. Des
distilleries clandestines ont continué à fonctionner en dépit de descentes de police régulières. On se souvient notamment de la célèbre Malote qui à la fin de sa vie en 1969, continuait à
distiller dans sa cuisine après avoir été traduite en justice !
En 1988, une directive européenne autorise la présence de thuyone dans l'alimentation et les alcools - ça tombe à merveille, cela permet donc concrètement de produire de l'absinthe (voir
Lois).
En 1994, on voit réapparaître le mot absinthe sur des bouteilles d'alcool tchèques (l'horrible "absinthe" Habsburg), puis quelques années plus tard françaises (la Versinthe).
Aujourd'hui, toutes les absinthes sont disponibles, mais ne sont pas forcément faciles à se procurer dans le commerce.
En France, la directive européenne a été aménagée de 1988 à 2011 et l'appellation légale pour l'absinthe est devenue "Spiritueux aux plantes d'absinthe". L'absinthe a retrouvé son nom "ABSINTHE"
qu'en 2011.
En Suisse, 2005 aura vu une légalisation survenir et la presse papier comme télé a fait écho à ces événements.
Gageons que d'ici quelques dizaines d'années lorsqu'elle sera moins chère, l'absinthe aura réintégré sa place d'apéritif favori.